Mots-Clés : correspondance
Transcription
Ecole Nationale des Chartes
Palais des Archives Nationales
Rue des Francs-Bourgeois, 58
Paris, 20 Janvier 1881,
Mon cher Père
Depuis le jour où j'ai reçu votre première lettre jusqu'au commencement de cette semaine, il ne m'a été possible de donner ni une heure, ni une pensée à l'archéologie, tant j'ai été absorbé par les travaux du conseil supérieur de l'instruction publique ; car je fais partie de ce Conseil. Si vous ne le saviez pas, je vous l'apprends ; et de plus ma franchise me fait un devoir de vous dire que je m'y suis montré l'adversaire de votre institut. Depuis quatre jours j'ai repris avec bonheur une partie de mes occupations habituelles, de celles qui m'ont procuré l'avantage de me rencontrer avec un investigateur de votre trempe, et d'ajouter un nom de plus à la liste des bons compagnons que je connais.
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J'ai commencé la distribution des exemplaires que vous m'aviez envoyés de votre brochure. J'en ai donné un à Mr Robert de Lasteyrie, mon successeur dans l'enseignement de l'archéologie du moyen-âge, et j'allais bien en offrir un autre de votre part à la Société des Antiquaires de France. Il m'en reste un troisième que je destine à la Société de l'Histoire de France. J'aurais voulu en avoir un de plus pour Mr Leblant, membre de l'Institut ; mais vous êtes probablement en rapport avec ce savant, et alors vous n'aurez pas manqué de le servir directement.
Il va sans dire qu'avant de procéder à la distribution de votre notice, je l'avais lue avec attention.
J'ai été frappé tout d'abord d'une omission que vous ne pourrez pas vous dispenser de réparer dans le texte explicatif du grand ouvrage. C'est à propos de l'inscription de Mellebaudes. Vous dites qu'elle contient une profession de foi. Ce n'est pas assez clair. Il faudra faire remarquer que cette profession de foi affirme d'une façon particulière la divinité de Jésus-Christ, et qu'elle est, selon toute apparence, une
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protestations contre la doctrine arienne, doctrine qui avait du se faire jour à Poitiers, pendant la domination des Wisigoths : aussi bien, je ne crois pas qu'il ait à chercher ailleurs que dans l'antagonisme des deux dogmes, les vicissitudes qu'éprouva l'Hypogée.
Je trouve aussi que votre incertitude, quant à la date du monument, flotte dans un trop grand espace de temps. Il n'est pas inadmissible que des inscriptions telles que celles que vous avez relevées soient antérieures au VIe siècle. Rien que la locution quod facit decembri pridide annonce que l'implantation du régime barbare est accompli. Les données qui résultent de l'orthographe du latin et de la forme de l'écriture ne sont pas moins positives.
Quant au mot maranatha, l'explication que vous en donnez n'est pas celle de nos bénédictins, auteurs du nouveau traité de diplomatique. Voyez tome V, p. 665. Ces savants nous disent que maranatha signifie en syriaque adveniat dominus, et que St-Paul a mis ces paroles à la suite de l'anathème qu'il portrait contre ceux qui n'aiment point Jésus-Christ, afin de les menacer de son jugement. La formule anathema maranatha fut usitée surtout dans les
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chartes du VIIe et du VIIIe siècle. J'ai par devers moi la note d'un diplôme de Saint Rieul, évêque de Reims en 685, où l'infracteur est dévoué à l'anathema maranatha, "qui est la perdition même jusqu'à l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ". Je n'ai pas le texte latin. Vous le trouverez dans les annales oromus St Benedicti, t. I, p. 701.
Le pauvre FiIllon sur lequel vous aviez compté pour m'instruire de votre campagne de Jazeneuil est à peu près dans l'impossibilité d'écrire.
C'est seulement par votre lettre du 18 de ce mois qu'il m'est permis d'entrevoir la valeur de vos nouvelles découvertes. Il est clair comme le jour que vous opérez sur un terrain farci d'antiquités romaines ; vous croyez reconnaitre aussi les vestiges des premiers possesseurs ecclésiastiques à qui ce domaine fût donné à l'époque mérovingienne : ne vous pressez pas trop de conclure. L'important pendant qu'on fouille, est de suivre jusqu'au bout les pistes qui se présentent, et de tenir exactement registre de ce qu'on trouve. C'est seulement lorsque toutes les données sont recueillies qu'il est temps de chercher la solutions du problème.
A l'invitation que vous me faites d'aller inspecter vos tranchées, je ne puis répondre que par les soupirs du prisonnier à l'attache ; mais restez convaincu que personne plus que moi ne s'intéresse à vos recherches, et que vous me trouverez toujours empressé à leur donner la publicité qu'elles méritent.
Votre tout dévoué et bien affectionné
J Quicherat
- Sujet
- correspondance
- Créateur
- Quicherat, Jules-Étienne (1814-1882)
- Source
- FRAD86_16J3_47
- Format
- 20 cm x 13 cm
- 4 p.
- Identifiant
- FRAD86_16J3_47_148
- Destinataire
- De La Croix, Camille (1831-1911)
- Transcripteur
- AliceGrelier
- AliceGrelier